Résidence provisoire

ll y a 65 ans, le 9 août 1956, naît la Société Nationale de Construction pour les Travailleurs Algériens : la Sonacotral. Sa fonction est de construire des foyers pour les travailleurs migrants qui vivent dans des bidonvilles. Les structures se veulent provisoires, on pense alors que les travailleurs repartiront vivre en Algérie. Durant ces 65 ans, les missions de la Sonacotral devenue Sonacotra en 1963 puis Adoma en 2007, vont au contraire se multiplier dans toute la France.

 

Si j’ai voulu raconter l’histoire de ces foyers d’accueil à travers le parcours de leurs résidents, c’est d’abord pour prendre un peu de recul. En cette période où l’on parle tant des migrants, j’ai voulu donner des visages et des histoires à ceux que l’on considère souvent comme des chiffres, des flux. Les 65 ans d’existence de ces structures nous racontent 65 ans d’immigration en France.

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Foyer de travailleurs migrants (FTM) du Quai Militaire à Limoges, 1976 
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Nouil Phounpradith, 53 ans, est Laotien. Il a fait partie de la vague de réfugiés asiatiques arrivée en France depuis le Vietnam, le Laos et le Cambodge à la fin des années 70.
D’abord installée dans un foyer d’accueil d’urgence à Herblay, sa famille est rapidement transférée au foyer Sonacotra du Quai Militaire à Limoges. Pour éviter les tensions, les Laotiens et les Cambodgiens sont logés dans une aile du foyer, les Vietnamiens dans une autre. 
« Dans ma famille, nous étions neuf enfants. Pour fuir la guerre, ma grande sœur a décidé de partir avec cinq d’entre nous.
Nous sommes arrivés d’abord à la frontière thaïlandaise, puis nous avons été dirigés vers la France. Quand je suis arrivé dans le foyer du Quai Militaire à Limoges en 1976, l’époque était très différente de celle qu’on traverse aujourd’hui. Certes, nous étions réfugiés mais nous avions des papiers, des visas, des passeports. Nous n’avions pas à forcer les frontières comme les migrants maintenant. En France, il y avait du travail et de la place dans les centres d’accueil. 
Nous n’y sommes restés que quelques mois. A l’époque, à part quelques Africains, il n’y avait quasiment que des Asiatiques dans le foyer. L’ambiance était bonne. Je me souviens que le directeur organisait des fêtes.
Nous avons quitté le foyer quand le directeur nous a trouvé un logement et un travail pour ma grande sœur». Aujourd’hui, il vit à Paris avec sa femme et ses deux enfants. 
Foyer de travailleurs migrants (FTM) du Quai Militaire à Limoges, 2015 
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Les premiers travailleurs migrants résidants sont aujourd’hui retraités. Ils sont surnommés les Chibanis, cheveux blancs en arabe. Selon un recensement effectué en 2014 par le Ministère de la ville, ils sont estimés à 35 000 à toujours vivre dans ces logements très sociaux. Avec des chambres individuelles de 7 à 9 mètres carré, des cuisines et des sanitaires communs, ils auront passé dans ces foyers jusqu’à 60 ans de leur vie. 
Foyer de travailleurs migrants (FTM) du Quai Militaire à Limoges, 2015 
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S’ils souhaitent bénéficier de la retraite et du système de soins français pour lesquels ils ont cotisé, les Chibanis ne peuvent pas retourner vivre au pays et doivent justifier d’une présence sur le sol français au moins six mois par an. Cette loi les oblige à garder leur chambre dans les foyers. Même s’ils font de longs séjours réguliers au pays, ils se retrouvent « coincés entre deux rives ». 
Foyer de travailleurs migrants (FTM) du Quai Militaire à Limoges, 2015 
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Mohamed Ohabit purifie son visage avant de faire la prière dans sa chambre. 
N’ayant pas assumé au quotidien l’éducation de leurs enfants restés au pays, la place des Chibanis au sein de la cellule familiale est parfois difficile à retrouver. Certains enfants les ont baptisés « papa baskets » parce qu’ils ont reçu d’eux principalement de l’argent pour subvenir aux besoins. Ceux qui ont opté pour le regroupement familial et ont fait venir leur famille en France ont quitté les foyers pour s’installer généralement en HLM. 

Foyer de travailleurs migrants Senghor, Paris 13ème, juillet 2016 
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Le foyer Senghor est un foyer historique fondé en 1969. Officiellement, il accueille 455 résidents mais le nombre de personnes qui y dorment réellement est impossible à chiffrer. Il est occupé par une population africaine principalement subsaharienne qui constitue la deuxième vague de population hébergée dans ces foyers.
En dépit du règlement, chacun héberge des membres de sa famille ou des amis pour une nuit ou plus et les places tournent. Parfois, jusqu’à sept personnes dorment dans une même chambre. 
La sur-occupation des foyers est une préoccupation majeure d’Adoma mais Adama Konaté, le président des délégués du foyer Senghor le redit : « Quand tu as un neveu, un fils ou un cousin qui arrive du pays, tu ne vas pas le laisser dormir dehors ! C’est comme ça la solidarité chez nous. Ça ne changera pas ». Petits commerçants dans les couloirs, restaurant au rez-de chaussée, le foyer fonctionne comme une petite ville.
Foyer de travailleurs migrants Senghor, Paris 13ème, juillet 2016 
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L’objectif du grand « Plan de Traitement des Foyers » lancé en 1997 est clair : les foyers de travailleurs migrants doivent disparaître et être remplacés par des résidences sociales. 
Dans ces résidences, les chambres sont des studios avec toilettes, douche et cuisine intégrées mais les espaces collectifs sont réduits au minimum : restaurants, salles communes et salles de prière sont supprimés. Parmi les changements importants, les résidents signent désormais un bail pour un an renouvelable une seule fois. Deux ans maximum, au terme desquels ils devront avoir trouvé un logement pérenne. Seuls les travailleurs migrants retraités, les Chibanis, conservent leurs baux à vie. Les Résidences Sociales se veulent également plus mixtes pour éviter les regroupements par communautés. 
En décembre, ce foyer Senghor a été fermé pour travaux. Par la fenêtre, on aperçoit la future résidence sociale en chantier qui accueillera une partie des résidents. Mais tout le monde ne pourra pas être relogé.
Résidence sociale La Basse Chenaie, Nantes, juin 2016 
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Petit à petit, les résidences sociales remplacent les foyers de travailleurs migrants. Elles accueillent toutes les populations précarisées de toutes nationalités confondues. Selon une estimation du collectif pour l'avenir des foyers (COPAF), deux tiers des 244 foyers d'Ile-de-France ont déjà été traités. 
À Nantes, Sabina joue le soir devant la résidence toute neuve qu’elle habite avec sa mère. 
Résidence sociale La Basse Chenaie, Nantes, juin 2016 
 – Angela et sa fille Sabina, 10 ans, ont quitté Grozny en Tchétchénie en août 2011. Le frère d’Angela étant recherché par la police russe, toute sa famille s’est retrouvée face à des menaces de mort. Après l’assassinat de son père, Angela fuit avec sa fille dans le camion d’un passeur dont elle ignore la destination. Il les dépose en France où elles se retrouvent à la rue. Après un passage dans un CADA et grâce à l’obtention du statut de réfugiées politiques, Angela et sa fille sont logées à Nantes, dans le quartier récent de Doulon. Ayant obtenu le statut, Angela a le droit de travailler mais elle sait qu’il lui faut une meilleure maîtrise du français pour trouver un travail. Elle aimerait devenir vendeuse et verrait bien sa fille médecin. 


Résidence sociale La Basse Chenaie, Nantes, juin 2016 
 – Sabina, 10 ans, fait sa prière dans la chambre de sa mère. 
Pour l'heure, même si elle s’ennuie parce qu’il y a peu de familles dans la résidence, elle aime l’école et s’est fait des copines. Elle parle parfaitement le français jusqu’à ne plus retrouver ses mots en russe, sa langue maternelle. 
Elle aimerait devenir danseuse classique ou médecin, elle ne sait pas encore. 
Résidence sociale Le Grand Cèdre, Déville-les-Rouen, 2016 
 – Yahya Aboukabar Daoud et son fils Younis. Yahya a quitté le Soudan pour fuir la guerre. Il arrive en Grèce où il est contraint de déposer ses empreintes. Mais, sans papiers, la police l’arrête très régulièrement. Il décide alors de partir en Suède. C’est là qu’il rencontre sa femme Muna et que naît sa fille Fatuma. Mais, à cause de la procédure de Dublin qui oblige les migrants à faire leur demande d’asile dans leur pays d’arrivée, il est renvoyé en Grèce. Ce n’est qu’en 2013 que toute la famille réussit à se retrouver en France et que naît Younis.
Résidence sociale Le Grand Cèdre, Déville-les-Rouen, 2016 
 – Anniversaire de Fatuma, 8 ans. Muna Aboukabar Daoud, la femme de Yahya, est Ethiopienne. Elle tente de partir en Europe, peu importe le pays, et arrive en Suède où elle rencontre Yahya et met au monde sa fille, Fatuma. Une fois en France, grâce à Fatuma et son école, Muna rencontre d’autres personnes des immeubles alentour. Mais les liens au sein de la résidence sont rares, il y a surtout des hommes seuls et souvent des bagarres.
Ils voudraient partir pour être installés dans un logement social mais pour le moment, ils attendent. Le titre de séjour pour Muna expire le 10 avril prochain. Elle espère obtenir un titre de séjour plus long qui lui permettra de travailler. S’ils ont tous les papiers, ils resteront en France. Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), Carla-Bayle, Ariège, avril 2016. 
 – En 1991, le gouvernement vote une loi interdisant aux personnes en demande d’asile de travailler pendant la procédure. Les premiers CADA sont créés afin de les héberger le temps de l’instruction de leur dossier. Des intervenants sociaux les accompagnent dans leurs démarches. Dispersés à travers toute la France, les demandeurs d’asile ne choisissent pas leur destination. 

Soraya, jeune afghane arrivée avec sa famille il y a six mois, se rend à l’école du village. Elle est hébergée dans un ancien centre de vacances transformé en CADA visible en contrebas. Si la campagne, pour nous occidentaux, est considérée comme un lieu de détente, sans moyen de transport, les demandeurs d’asile se sentent isolés. Ils vivent souvent mal leur arrivée dans un si petit village. 
Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), Carla-Bayle, Ariège, avril 2016. 
 – La famille Sajadi : Seyed-Asghar le père, Rahima la mère, Ali 13 ans et Soraya 11 ans, viennent d’Afghanistan. Membres de la minorité chiite Hazara du pays, cette famille a fui les talibans. Ils sont hébergés dans ce CADA situé en pleine zone rurale le temps de la procédure de leur demande d’asile en France. Élément déterminant, ils doivent préparer leur entretien à l’OFPRA (l’Office Français de protection des réfugiés et apatrides). Ce rendez- vous sera décisif pour obtenir ou pas le statut de réfugiés. En 2016, seules 30% des demandes ont reçu une réponse positive avec de fortes disparités selon les nationalités : si les Syriens l’ont obtenu à 95%, le taux pour les Albanais, considérés comme des réfugiés économiques, n’a été que de 6,5%.
En attendant, chacun trompe l’ennui comme il peut. Soraya, Ali et leur mère regardent des séries sur un téléphone portable. 
Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), Carla-Bayle, Ariège, avril 2016. 
 – Chaque soir, Soraya, 11 ans, écrit une lettre dans sa langue maternelle, le dari, à un destinataire en Afghanistan qu'elle veut garder secret. Bien à l'abri dans une boîte qu'elle a customisée, elle espère un jour remettre toute cette correspondance à son destinataire, quand elle sera dentiste et qu'elle ira exercer son métier là-bas…
Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) Le Petit Bois, Fontaines Saint Martin, avril 2016. 
 – Cours de soutien en français donné par des bénévoles au sein du CADA. 
Les cours de français ne font pas partie des missions des intervenants sociaux présents dans le CADA. Associations et bénévoles prennent le relai.

La création des centres d’accueil de demandeurs d’asile en 1991 fait partie de l’élargissement des missions de l’ex-Sonacotra. Aujourd’hui, Adoma gère 169 CADA dans toute la France et le besoin ne cesse d’augmenter. En 2017, 100 412 demandes d’asile ont été enregistrées par l’OFPRA. 
Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) Le Petit Bois, Fontaines Saint Martin, avril 2016. 
 – Eleta, enceinte de sept mois, et sa belle-mère Alikhan sont Arméniennes. En cas de rejet de leur demande par l’OFPRA, si elles sont déboutées du droit d’asile, elles devront quitter le CADA. 
Très souvent, les migrants déboutés quittent l’établissement sans aucune solution d’hébergement. En entrant dans la clandestinité, commence alors pour eux un long parcours de galère. 

Programme régional d’accueil et d’hébergement pour les demandeurs d’asile (PRAHDA), Pau, février 2018. 
 – Le Programme Régional d'Accueil et d'Hébergement des Demandeurs d'Asile (PRAHDA) a été lancé par le gouvernement en 2017 pour répondre au besoin croissant d’hébergement pour les demandeurs d’asile. Adoma a remporté l'appel d'offre en mai 2017 en achetant, au groupe Accor, 62 hôtels, anciens Formule 1, dans toute la France. Contrairement aux CADA, les PRAHDA accueillent principalement des demandeurs d'asile sous procédure de Dublin, c'est à dire expulsables vers le premier pays Européen par lequel ils ont transité et où leurs empreintes ont été prélevées de gré ou de force.
Sur ces 62 hôtels, 38 sont réservés pour les demandeurs d'asile, les autres sont ouverts pour l'accueil d'hébergement d'urgence dit classique. En tout, 5000 places pour les Demandeurs d’Asile ont été créées. L'accompagnement social y est plus faible que dans les CADA : un encadrant pour 25 personnes. La volonté du gouvernement est surtout, grâce à ces structures, de contrôler le statut administratif des migrants, les assignations à résidence et les raccompagnements à la frontière.
Programme régional d’accueil et d’hébergement pour les demandeurs d’asile (PRAHDA), Séméac, février 2018. 
 – Dans le hall de l’ancien Formule 1 de Séméac, les demandeurs d’asile combattent l’ennui comme ils peuvent. Sans espace collectif, les enfants jouent le plus souvent dehors. Le PRAHDA de Séméac n’héberge que des familles : Syriens, Azerbaïdjanais, Congolais et Arméniens doivent apprendre à vivre ensemble avec des cuisines, des douches et des sanitaires en commun. 
Hazem et Riam sont frère et sœur. Ils sont arrivés de Homs en Syrie avec leur mère. En face d’eux, le gardien des lieux assure ses dernières heures au PRADHA. Bientôt, par soucis d’économie, le statut des PRAHDA va devenir Résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS).  Il n’y aura plus d’obligation d’avoir un gardien. Un poste pourtant très utile auprès de ce public fragile et ne maîtrisant pas le français.  

Programme régional d’accueil et d’hébergement pour les demandeurs d’asile (PRAHDA), Séméac, février 2018. 
 – Haifa et ses quatre enfants viennent de Homs en Syrie. Son mari a été tué là-bas. Dans leur parcours d’exil, la mère d’Haifa a dû rester en Jordanie, une situation qu’elle vit mal. Très souvent, les familles qui fuient les conflits se retrouvent éclatées dans plusieurs pays. 
L’attente de la réponse de l’OFPRA est longue et stressante pour ces réfugiés. Le délai est très variable mais peut aller jusqu’à deux ans.
Programme régional d’accueil et d’hébergement pour les demandeurs d’asile (PRAHDA), Séméac, février 2018. 
 – V. est Arménienne. Avec son compagnon, ils sont « dublinés » depuis la République tchèque, le premier pays européen par lequel ils ont transité. Malgré la naissance de leur bébé, leur recours pour faire une demande d’asile en France a été rejeté. Ils ont donc reçu un « routing », c’est-à-dire des billets de train pour retourner en Tchéquie. À la porte de la chambre de l’ancien Formule 1, l’intervenante sociale mime qu’ils devront quitter les lieux à quatre heures. Mais V. et son compagnon ont décidé de ne pas prendre ce train. Ils ont trop peur qu’une fois en Tchéquie, on les renvoie en Arménie. À 16 heures donc, ils ont rangé leurs affaires dans leur voiture et sont partis avec leur bébé sans aucune solution d’hébergement. Ils ont préféré le parcours très difficile de la clandestinité plutôt que de retourner en Tchéquie. 
Programme régional d’accueil et d’hébergement pour les demandeurs d’asile (PRAHDA), Séméac, février 2018. 
 – Les PRADHA ne sont pas soumis à la loi 2002.2 qui régit l’hébergement social en mettant l’usager au cœur de l’accompagnement. Le nombre d’intervenants sociaux y est plus faible pour des procédures plus compliquées, avec des moyens réduits. Un hébergement social low-cost qui ne pourrait pas fonctionner sans l’intervention des associations alentours et qui rappelle malheureusement les premiers foyers de travailleurs migrants ouverts il y a 60 ans.

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